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Pénuries, inflation… L’étau se resserre sur les PME

Le 7 juin 2022

Les conditions économiques actuelles pèsent sur les petites entreprises. Si la situation n’est pas encore catastrophique, les dirigeants et les fédérations interrogés par LSA sont inquiets, d’autant qu’aucune amélioration n’est attendue dans les prochains mois.

Jusqu’ici, tout va bien, ou presque ! Si la vigilance est de mise, la situation n’est, en tout cas, pas encore catastrophique pour la grande majorité des petites et moyennes entreprises. « Au départ, l’inflation était plutôt une bonne nouvelle. C’était le signe que la reprise était là après le relâchement de l’étau Covid », souligne Jean-Marc Giroux, président de Cosmed, l’association des PME de la filière cosmétique. En grande distribution, ces sociétés ont vu leurs ventes repartir à la hausse en 2021 (+2,5% par rapport à 2020 et +12,7% versus 2019). « Sur la période 2020-2021, les PME ont même gagné des parts de marché (+0,6 point) », rappelle Emily Mayer, directrice business insights pour Iri. Mais depuis quelques mois, les indicateurs se dégradent. Et pour cause. Avec la guerre en Ukraine, l’inflation a pris encore de l’ampleur. « En un an, nous constatons des hausses de 90% sur les œufs, 48% sur le blé, 89% sur les emballages en aluminium, 25% sur le papier, 70% sur le coton, 20% sur le transport, 100% sur l’énergie… Quant aux huiles, depuis début janvier, leur prix a été multiplié par deux ou trois », énumère Jeanne Lemoine, administratrice de la Feef et présidente du groupe Lemoine, ETI spécialisée dans les produits d’hygiène en coton. Des hausses de plus en plus compliquées à absorber. « C’est plus difficile pour les PME dont la situation financière est souvent plus fragile. Elles ont, en général, moins de trésorerie que les grands groupes », rappelle Martin Crépy, expert consumer goods chez Simon-Kucher&Partners.

Hausses brutales

Pour Bénédicte Caron, vice-présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), « nous ne sommes encore qu’au début de l’inflation. Une partie des dirigeants des TPE et des PME ont du mal à mesurer ce que cela va leur coûter réellement. Ceux qui ont vraiment pris conscience du problème, ce sont ceux qui utilisent beaucoup d’énergie ». Pour Alterfood, qui distribue des marques de boissons et de soupes, la flambée du prix du gasoil est déjà préjudiciable. « Ce sont des augmentations entre 17 et 25% selon les mois. Nous réalisons environ 2000 livraisons par mois auprès de nos clients de la grande distribution et de l’hôtellerie restauration. Cela impute nos marges de façon dramatique », explique Alexis Vaillant, CEO et cofondateur d’Alterfood. La hausse de l’électricité préoccupe, elle, Matthieu Lagarde, à la tête de Sepoa Delgove, spécialisé dans le hareng fumé. « Notre contrat d’électricité arrive à terme en décembre. De 40 000 euros par an, il va passer à 120 000 euros en 2023. Je dois donc trouver 80000 euros et ce n’est pas le résultat que l’entreprise dégage annuellement », confie-t-il. Ce qui est nouveau, ce sont les hausses de matières premières qui se produisent du jour au lendemain. « Il y a de moins en moins de préavis à l’augmentation des tarifs », souligne Jean-Philippe Simonard, directeur commercial délégué pour trois PME : le distributeur de marques CED Cosmetics, la TPE Pulpe de Vie et la PME Parfums par Nature (Pur Eden). «Tous les jours, nos équipes achats sont appelées par des fournisseurs qui annoncent augmenter leurs prix et ce ne sont pas des hausses de 1 ou 2% mais plutôt des hausses à deux chiffres. En trente ans, c’est la première fois que je constate une telle situation », déclare Éric Renard, cofondateur de La Phocéenne de Cosmétique (Le Petit Olivier et Lovea). Matthieu Lagarde confirme: « Nous passons une commande avec un prix et quand nous la recevons le mois suivant, ce n’est plus le même. »

Pour le moment, plus que l’inflation, ce sont les pénuries qui pénalisent les industriels. La guerre en Ukraine a particulièrement mis en lumière les problèmes d’approvisionnement en huile de tournesol et en blé. Néanmoins, tout n’est pas en lien avec cette crise. Rappelons que les récoltes, l’an passé, ont été mauvaises pour les céréales. La décision de l’Indonésie de stopper les exportations d’huile de palme pour préserver son marché national provoque aussi des pénuries. Et cela ne concerne pas que l’industrie agroalimentaire. Par exemple, le tournesol entre dans la composition de nombreuses huiles solaires ou dans les huiles sèches pour le corps. Les pénuries d’emballages sont par ailleurs problématiques également, que ce soient des packagings primaires ou des PLV. « Parfois, ce sont des composants de nos matières premières qui viennent à manquer. Ce sont des ruptures que l’on ne voit pas venir, qui ne sont pas de notre fait mais qui affectent la fabrication de nos produits et donc retardent la livraison à nos clients, déplore Éric Renard. Nous avons toujours eu de bonnes relations avec la grande distribution mais ces retards tendent nos rapports. » Si les produits ne sont pas livrés à temps, les enseignes appliquent des pénalités logistiques. Pour l’instant, seul Système U a été sensible aux difficultés rencontrées par les PME. Le distributeur a décidé d’appliquer systématiquement un moratoire sur les pénalités logistiques et de proposer à toutes les TPE-PME livrant ses entrepôts, et qui en feront la demande, la possibilité d’un paiement comptant de leurs factures afin de soutenir leur trésorerie.

Les vertus retrouvées du stock

Face à cette situation, avoir une bonne relation avec ses fournisseurs est essentiel. « Quand il y a pénurie de matière, on s’aperçoit que les fournisseurs ne servent plus forcément les plus gros en premier. Ils auront tendance à réserver les stocks à leurs clients les plus fidèles, ceux qu’ils retrouveront après la crise et qui assureront leur développement sur le long terme », assure Jean-Marc Giroux. Le président de Cosmed constate que « les entreprises redécouvrent les vertus du stock. Ces dernières années, la production à flux tendu s’est généralisée. Le problème est que lorsqu’un grain de sable se glisse dans l’engrenage, c’est toute la chaîne qui déraille, comme c’est le cas actuellement ». Et les stocks ne concernent pas que les matières premières : « Avant que l’électricité n’augmente en janvier, nous allons essayer de fabriquer et de faire des stocks de nos produits en conserve, annonce Matthieu Lagarde. Néanmoins, faire des stocks, c’est de la trésorerie qui dort. » Toutefois, le dirigeant de Sepoa Delgove ne se considère pas comme le plus à plaindre. « Le hareng est un poisson bon marché. Même si les hausses sont importantes, cela ne représentera que quelques centimes d’euros sur le produit final. En plus, nous n’avons qu’une seule recette à l’huile et ce n’est pas de l’huile de tournesol, c’est de l’huile de colza produite en Normandie », souligne-t-il.

Jean-Michel Péard, cofondateur du réseau de fermiers Invitation à la Ferme, met en avant les avantages du bio dans ce contexte d’inflation: « Nous sommes moins touchés que d’autres. Nous produisons notre propre lait. Comme nous sommes en bio, nous n’avons pas d’achats de produits phytosanitaires. Nos vaches pâturent, donc nous achetons moins de fourrage. Nous estimons tout de même à 2,5% la hausse de nos coûts depuis le début de l’année. Pour l’instant, nous ne l’avons pas répercutée sur nos prix. Nous rognons sur nos marges. » D’autres arrêtent les investissements pour faire des économies. « Actuellement, à La Phocéenne de Cosmétique, nous ne faisons plus de promotions car nous n’avons plus les capacités pour le faire. Nos marges sont trop dégradées », déplore Éric Renard. Même son de cloche chez Alterfood : « Nous avons arrêté les investissements marketing. Nous n’avons pas remplacé non plus les dernières personnes qui sont parties », explique Alexis Vaillant, tout en ayant conscience que « ce ne sont pas des solutions viables à long terme. Les ventes ont besoin d’être dynamisées. Et si nous avons moins de personnel, nous risquons de moins bien couvrir certaines zones et donc de faire moins de ventes dans ces secteurs ».

Répercuter, ou pas ?

Dans ce contexte, les hausses de coûts doivent-elles être répercutées sur les tarifs ? La question divise. « Chez Cosmed, nous conseillons à nos adhérents de ne pas augmenter leurs prix. Nous évoluons dans un monde très concurrentiel, les PME doivent rester compétitives. Pour compenser la hausse des coûts, mieux vaut augmenter les volumes et gagner des parts de marché », déclare Jean-Marc Giroux. Cependant, en grande distribution, le contexte n’est pas favorable au développement des volumes. En recul depuis mai 2021, le phénomène s’est accentué en avril dernier, mais il est trop tôt pour en tirer des conclusions : Pâques n’est pas tombé au même moment que l’an passé et ce temps fort a, en plus, été perturbé par l’affaire Ferrero. En mars et avril, toutes les marques ont vu leurs ventes volume baisser, sauf les MDD premiers prix (+5,9% vs la même période l’an passé). Les PME accusant le plus fort recul sur ces deux périodes (-6,5%). Et cette tendance risque de s’accentuer dans les prochains mois car, si le pouvoir d’achat diminue, les Français feront des arbitrages et se tourneront probablement vers des produits moins valorisés. Les dirigeants sont donc de plus en plus nombreux à envisager d’augmenter leurs tarifs : fin avril, 61% d’entre eux prévoyaient de le faire contre 58% à fin février, selon le baromètre BPI Le Lab/Rexecode. « Nous ne pouvons pas absorber de telles augmentations seuls. Nous avons réussi à passer des hausses sur les produits que nous fabriquons pour nos clients en leur présentant une analyse de la valeur complète. Pour nos marques propres, c’est plus difficile », constate Éric Jacquemet, PDG de l’ETI Sarbec Cosmetics (Corine de Farme), qui fabrique aussi beaucoup de MDD.

Faire le dos rond

Pour l’expert Martin Crépy, « il ne faut pas passer une hausse de prix uniforme sur l’ensemble de son offre. Il faut identifier les références pour lesquelles elles se justifient. De même pour les promotions, il faut les limiter mais ne pas les arrêter complètement. C’est un travail presque chirurgical ». Pour aider ses adhérents, « la Feef a mis en place une boîte à outils juridique afin de préparer la réouverture des négociations », souligne Jeanne Lemoine. Si tous les distributeurs ont signé une charte pour permettre une renégociation en ce qui concerne l’agroalimentaire, pas sûr que cela aboutisse pour les PME. « Les distributeurs n’auront pas les moyens humains de rouvrir les négociations avec tous leurs fournisseurs. Les équipes achats privilégieront probablement les plus gros. Ce sera plus difficile pour les PME », anticipe Martin Crépy. Les fédérations recueillent beaucoup d’inquiétudes, en particulier chez les jeunes dirigeants.

« Les nouveaux entrepreneurs n’ont jamais connu de périodes de forte inflation », remarque JeanMarc Giroux. Bénédicte Caron fait le même constat: « À la CPME, nous avons eu des questions de jeunes dirigeants pour nous demander comment gérer l’inflation. C’est un contexte économique inconnu pour eux, ils n’ont plus de points de repère. » Ces deux « anciens » se veulent rassurants. « Tout le monde a survécu », assure Jean-Marc Giroux. Néanmoins, Matthieu Lagarde, qui représente la quatrième génération à la tête de Sepoa Delgove, rappelle qu’au temps des fortes inflations connues par son père, « l’entreprise n’avait rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui. On sortait des Trente Glorieuses, nous avions de la trésorerie. Là, nous finissons une période compliquée, due au Covid, pour entrer dans une autre ». Néanmoins, pour Emily Mayer, d’Iri, les PME ont toujours des leviers de croissance à activer, « notamment en e-commerce où elles sont sousreprésentées. En plus, la proposition des PME correspond aux attentes shoppers pour qui le made in France est signe de qualité et qui veulent consommer localement ». Alors que la pandémie que nous venons de traverser a remis sur le devant de la scène l’importance de la souveraineté alimentaire et industrielle, il est primordial que les entreprises françaises, quelle que soit leur taille, puissent continuer à se développer.