
Ce que la K-Beauty enseigne aux marques françaises
L’association professionnelle Cosmed a présenté à Paris le meilleur de la K-Beauty : formats star (pads, cushions), textures «instagrammables», nouvelle vague d’actifs (spicules, PDRN), soins hybrides, retail façon Olive Young… Un éclairage précieux pour transformer la hype en ventes.
Après une première vague (BB cream, sleeping masks, sheet masks…), stoppée net par la pandémie de Covid, la K-Beauty est repartie de plus belle. L’innovation s’est remise à tourner à plein régime, les exportations ont regagné le terrain perdu et l’industrie coréenne a appris à se diversifier hors de Chine.
On l’observe aussi dans les médias : «Il n’y a pas une semaine sans qu’on soit sollicités par la presse pour des interviews, des données, des insights sur ce marché», constatait Florence Bernardin, fondatrice de l’agence Asia Cosme Lab, lors de la Rencontre Cosmétopole Centre Ile-de-France, organisée le 7 octobre par Cosmed, association des TPE-PME et ETI de la filière cosmétique. Bref, la K-Beauty semble s’installer durablement dans l’Hexagone.
Avec 13 milliards de dollars d’exportations, dont 80% via l’e-commerce, la Corée du Sud s’est imposée l’an dernier comme un pivot de la cosmétique mondiale, stimulée par la viralité de ses marques indépendantes. Autrement dit, elle a dépassé l’Allemagne en devenant le 3e exportateur mondial de cosmétiques, juste derrière la France et les États-Unis…
Plus qu’une tendance, un modèle d’innovation
«La K-Beauty n’est pas une tendance, c’est un modèle d’innovation. Chaque ingrédient porte une histoire, une symbolique et une fonction biologique précise, et c’est cela qui nous attire. La capacité de transformer la tradition en innovation biotechnologique est vraiment au cœur de la K-Beauty», a expliqué Monika Gorniewska, directrice commerciale de Summit Cosmetics Europe, une société qui fournit des matières premières pour l’industrie cosmétique.
Ce socle techno-industriel se combine aussi à un halo culturel décisif, a complété Florence Bernardin : K-pop, K-dramas, retail immersif… L’envie précède l’essai, l’essai précède l’achat. Une mécanique marketing désormais bien réglée. On ne compte plus les formats signatures qui font un tabac : les pads (pots de 70 pièces, double face pose/wipe), devenus une catégorie à part entière, les sticks, partis des solaires et étendus à d’autres soins, les masques hydrogel (Biodance) ou encore les cushions, passés du solaire au «skin-caring», avec des actifs de skincare intégrés.
Les textures «instagrammables» – slimy/élastiques, gels «bouncy», argiles «mint choco» – viennent enrichir l’expérience : on voit, on sent, on touche l’efficacité dès la première application, sans sacrifier le soin, a poursuivi la spécialiste des cosmétiques asiatiques. Ce qu’il faut en retenir ? Des formats rapides à utiliser, faciles à emporter et une efficacité perceptible dès l’application.
Spicules : l’aiguillon de la K-Beauty

Côté actifs, le pont entre clinique et cosmétique se renforce. Très attendues sur le sujet, Florence Bernardin et Monika Gorniewska ont précisé le rôle des spicules. Ces micro-aiguilles issues d’éponges, invisibles à l’œil nu, créent des micro-passages, favorisent la pénétration des actifs et lissent la surface de la peau. On voit déjà ces technologies migrer du visage vers les lèvres et le capillaire…
Même logique pour le PDRN, un assemblage de fragments d’ADN extraits du sperme de saumon. En cosmétique, on l’intègre dans des sérums ou des crèmes pour favoriser la régénération de la peau. Il existe aussi des alternatives véganes (phyto-PDRN). N’oublions pas non plus les peptides «copiés du vivant», les actifs inspirés du PRP ou les fameux… exosomes, qui ouvrent un nouveau terrain d’innovation prometteur.
La frontière entre les produits s’estompe. L’hybride soin et make-up devient un terrain de jeu gagnant : cushions enrichis en actifs, la formule du Cicapair (Dr.Jart), une crème verte qui devient beige pour neutraliser les rougeurs, sérums pour les lèvres au rétinol… Elizabeth Armenta-Trémosa, fondatrice de la marque Mi-Rê, en a résumé l’idée : «Je ne vois pas le maquillage comme un camouflage, mais une façon de réhausser la beauté». Son Bibi Nova, conçu dès l’origine comme un soin intégré au maquillage, illustre cette bascule.
Les ingrédients emblématiques se réinventent aussi. Par exemple, la centella asiatica – dite Cica (également appelée tiger grass) – est une plante de la pharmacopée traditionnelle. En K-Beauty, c’est un ingrédient-signature destiné à apaiser les peaux sensibles et à renforcer la barrière cutanée (ex. les soins Primera).
Côté ginseng, Monika Gorniewska cite l’exemple du «Biogold» : un procédé développé en labo qui renforce les molécules actives, avec des tests montrant une action sur le collagène et la mélanine (éclat, taches). De son côté, la fondatrice de Mi-Rê a rappelé l’intérêt de l’eau de Jeju et du lotus bleu, ainsi que des racines fermentées pour l’hydratation, l’équilibre et le soutien du collagène. Une manière de relier l’héritage coréen à une preuve scientifique.
Transformer le packaging en expérience

La distribution, qu’on a tendance à oublier, est l’autre moitié de la K-Beauty. L’enseigne coréenne Olive Young, rivale de Sephora, grimpe si vite qu’elle pourrait bientôt dépasser la chaîne de beauté du groupe LVMH, selon Florence Bernardin. C’est un concept stores expérientiels où l’on teste, scanne, enregistre ses data, avant… d’acheter en ligne.
Chaque magasin cultive sa scénographie. Ainsi, Tamburins (parfums) et Rom&nd (maquillage) poussent l’effet visuel et les jeux de couleurs jusqu’au spectaculaire. Le mode opératoire qui doit inspirer ? Combiner expérience offline, activation pop-up et distribution phygitale, a détaillé Iris Eun, cheffe de projet Corée à l’agence Asia Cosme Lab.
Reste le packaging, où la Corée transforme le contenant en expérience. Jean-Luc Mathiez, président de Cinqpats, a décrit un ADN fait de cohérence d’identité et d’obsession du détail sensoriel – jusqu’au son d’une charnière ! -, soutenu par un flux impressionnant d’inventions : environ 400 brevets par an en Corée, moitié marques, moitié fournisseurs.
Le cushion en est le cas d’école : formule liquide (fond de teint, soin, solaire…) rangée dans un boîtier compact au lieu d’un flacon, hygiène et étanchéité difficiles à garantir, testeurs impraticables en libre-service… L’astuce ? Le plaisir au toucher fait basculer l’achat. «C’est la seule raison qui fait que le produit marche», a affirmé Jean-Luc Mathiez.
La tendance «airless» inspire aussi les services R&D coréen : des compte-gouttes sans air qui délivrent juste la bonne goutte, des poches souples avec applicateur, des boîtiers et mascaras «sans air» pour mieux préserver la formule, voire un flacon en verre «airless», qui associe protection des formules fragiles et look premium du verre.
Un souci du détail qui inspire désormais les Français. Loubna Betterki, responsable produit chez Albéa Cosmetics & Fragrance, a montré comment la fonctionnalité devient un langage de marque : embouts roll-on céramique (effet froid), micro-billes (dosage + massage), embouts lèvres dessinés pour épouser la bouche, ouverture sans poser le capot, powder brush avec fermeture qui récupère la poudre restante, etc.
Moralité ? La K-Beauty n’a pas vocation à être clonée. Elle enseigne plutôt une façon d’aligner science, sensorialité et mise en scène, du labo au linéaire. Aux marques françaises d’en faire un avantage compétitif. Car, en France, ce n’est déjà plus une curiosité exotique, c’est un standard qui s’impose.